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Une championne de l’égalité

Du Canada à l’Afghanistan, Nurjehan Mawani a bâti sa carrière en se portant à la défense des droits des femmes et des groupes minoritaires

Par
Omar Rawji
Published September 30, 2020
Nurjehan Mawani (2e à partir de la droite) avec l’ambassadrice du Canada, Deborah Lyons (1e à partir de la gauche) à Kaboul en 2015. Crédit : Offert à titre gracieux par AKDN.

Lorsque Nurjehan Mawani s’est installée à Vancouver en 1984, elle était surprise de voir que les gens faisaient un effort pour prononcer son nom. C’était un changement bienvenu. Jeune avocate, désireuse de lutter contre les inégalités, elle a déménagé au Canada avec son mari après avoir passé une décennie en Angleterre, où les gens ne se donnaient pas cette peine.

« Je suis arrivée au Canada et j’ai vu des gens avec des noms ukrainiens compliqués et d’autres noms, et je ne me souviens pas avoir entendu quiconque me demander d'utiliser un diminutif au lieu de mon nom complet, se souvient-elle. »

Elle a trouvé rafraîchissante la culture d’acceptation au Canada, elle qui a grandi à Mombasa, une ville marquée par l’esprit colonialiste, où tous les aspects de la vie de la société, des hôpitaux aux restaurants, étaient marqués par la ségrégation : Européens, Sud-asiatiques et Africains. Elle se souvient avoir attendu l’autobus pour les enfants sud-asiatiques alors que défilaient des autobus à moitié vides avec des enfants blancs à bord. Cette expérience l’a profondément marquée.

« Nous ne pouvions pas monter à bord des mêmes autobus, vivre dans les mêmes quartiers, ajoute-t-elle. Vous pouviez voir des autobus avec des enfants blancs à bord alors que vous attendiez l’arrivée de votre autobus. »

Elle se souvient d’avoir ressenti un grand sentiment d’exclusion, mais aussi que tous semblaient accepter la situation. Plus tard, elle en est venue à comprendre comment la vie de chacun est modelée par son parcours personnel – la couleur de sa peau, son sexe, son statut socioéconomique – et s’est fixée pour but de combattre les inégalités. C’est bientôt devenu le travail de sa vie.

Nurjehan Mawani (à gauche) avec ses camarades de classe à l’école secondaire Aga Khan à Mombasa, Kenya en 1963. Crédit : Offert à titre gracieux par Nurjehan Mawani.

À l’âge de 17 ans, Mme Mawani a quitté l’Afrique de l’Est pour fréquenter l’école de droit en Angleterre et obtenir les outils qui allaient lui servir dans sa lutte pour la justice. Elle est devenue avocate et membre du Barreau de Londres en 1968, mais elle a constaté rapidement que son profil de femme aux cheveux noirs ne cadrait pas avec l’establishment, et lui rendait difficile l’exercice du droit devant les tribunaux. Elle a suivi une autre formation et est devenue procureure (solicitor), ce qui lui a permis de travailler dans les coulisses.

« L’ironie dans tout cela, c’est que je rencontrais les clients et que j’enseignais d’autres procureurs, des hommes blancs reconnus par les institutions, qui allaient ensuite plaider pour mes clients devant les tribunaux, en s’appuyant sur mes recherches et mes conseils juridiques! », se remémorait-elle en 2004 au cours d’une allocution de remise de diplômes à l’Université d’Ottawa, où elle s’est vue décernée un doctorat honorifique.

En 1984, elle a déménagé avec son mari et ses deux enfants à Vancouver, a commencé à exercer le droit, et est entrée directement dans la fonction publique. En qualité de vice-présidente de La Fondation Aga Khan Canada et présidente du portefeuille des femmes du Conseil ismaili, elle a fait partie d'un group de femmes à l’origine de la Marche des partenaires mondiaux tenue à Vancouver en 1985. Cette idée leur est venue parce qu’elles étaient préoccupées par les femmes des pays émergents qui devaient marcher « des kilomètres et des kilomètres » pour ramasser du bois ou aller chercher de l’eau pour la cuisine et le ménage.

« Comment exprimez-vous votre solidarité envers les femmes et les filles qui le font tout le temps, tous les jours, du moment où elles se lèvent à quatre ou cinq heures du matin? », demande-t-elle. « Nous marcherons à leurs côtés. Voilà comment cela a commencé. »

Elle se souvient d’avoir communiqué avec des politiciens dans les premières années. Un acte de présence de Kim Campbell, la ministre de la Défense de l’époque, devenue par la suite la première ministre en 1993, éleva le statut de l’événement. En trois ans, la Marche des partenaires mondiaux s’est étendue aux principales villes canadiennes. À l’heure actuelle, cette Marche est organisée dans dix villes du Canada et permet de lever des millions de dollars annuellement pour combattre la pauvreté dans des pays en développement.

Le point tournant de sa carrière est survenu en 1986, lorsqu’un associé à son cabinet de droit l’a recommandée pour un poste à la Commission d’appel de l’immigration. Lorsque la Commission est devenue la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en 1989, un tribunal administratif indépendant qui rend des décisions dans des milliers de dossiers touchant l’immigration et les réfugiés, elle a été nommée au poste de vice-présidente. En 1992, elle est devenue la première femme à la tête du conseil d’administration. Pendant son mandat, elle a fait la promotion des droits des femmes et des minorités du monde entier.

Elle s’est servi de son mandat de cinq ans pour appliquer une leçon de son enfance, à savoir que le fait d’avoir accès à des débouchés ne suffit pas à une personne ou à un groupe ayant été défavorisé. Elle a fait cette découverte alors qu’elle servait de tutrice auprès des étudiantes de son école : certaines de ses camarades de classe n’avaient pas grandi entourées de livres dans leur maison comme elle, ou dont les parents n’accordaient pas la priorité à l’éducation.

Sa réalisation marquante a été la création de lignes directrices en matière de discrimination liée au sexe pour les demandeurs de statut de réfugié, faisant du Canada le premier pays du monde à reconnaître le cas de personnes fuyant leur pays en raison de persécutions liées au sexe, comme la violence familiale, les avortements forcés et les mutilations génitales. D’autres pays ont emboîté le pas au Canada.

Mawani s’est vue décerner l’Ordre du Canada en 1993. Crédit : Offert à titre gracieux par Nurjehan Mawani.

Elle est devenue la première ismailie a avoir reçu l’Ordre du Canada en 1993 pour son engagement à améliorer la vie des Canadiennes et des Canadiens en se portant à la défense du multiculturalisme et des droits des réfugiées. Elle a depuis reçu, entre autres, la Médaille du jubilé de la Reine Elizabeth II, le Prix Canada d’UNIFEM pour ses contributions exceptionnelles à l’avancement de la cause des femmes et le Prix pour services insignes de la fonction publique du Canada. Elle affirme que le soutien de son mari et de ses enfants a été inestimable pour ses réalisations.

L’ancienne gouverneure générale du Canada, Adrienne Clarkson, a observé le travail de Mme Mawani au fil des ans. « Elle apporte l'idée d'écouter les autres et de comprendre leur point de vue, de dire Mme Clarkson. Avec sa grande intelligence et sa capacité de synthèse, elle est en mesure d’obtenir un portrait complet d’une situation. C’est une grande force. »

En 1997, après avoir présidé la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, elle est devenue commissaire à la Commission de la fonction publique et conseillère principale en matière de diversité à l’École de la fonction publique du Canada. Elle était également présidente du Conseil national de conciliation et d'arbitrage qui offre des services de résolution de conflits aux membres de la communauté ismailie.

En 2005, Mme Mawani a commencé un mandat de 14 ans en tant que représentante diplomatique du Réseau Aga Khan de développement (AKDN) en Asie centrale, servant d'abord au Kirghizistan pendant huit ans, puis six ans en Afghanistan. Au cours de ces années, elle a établi des liens solides avec nombre de personnes qui lui ont permis de faire connaître la vision et le travail du Réseau Aga Khan de développement.

Mme Mawani reçoit Son Altesse l’Aga Khan à Bishkek au Kyrgystan, lors de sa visite de l’Asie centrale pour célébrer son jubilé d’or en novembre 2008. Crédit : Offert à titre gracieux par Nurjehan Mawani.

Au Kirghizistan, elle a travaillé sur une initiative du Réseau visant à régler le problème de l’arrêt prématuré des classes des enfants des fermiers des montagnes. Tous les ans, toute forme d’éducation cessait pendant quatre à cinq mois pendant la saison de pâturage parce que tous, y compris les parents et les enseignants, envoyaient leurs animaux dans les hauts pâturages, ou jailoos. L’initiative a permis l’installation de yourtes dans les montagnes afin de donner des classes. Les parents ont pris la responsabilité de veiller sur les animaux des enseignants pendant les classes.

« Si tout le monde - parents, enseignants, gouvernement et, dans ce cas, la Fondation Aga Khan - travaillait ensemble, l’éducation n’était pas compromise », dit Mme Mawani, qui a amené des décideurs politiques et des diplomates du monde entier pour visiter ces écoles. Depuis lors, des garderies des hauts pâturages ont été lancées avec succès dans des centaines de communautés au Tadjikistan et au Kirghizistan.

Nurjehan Mawani fait une visite du Programme de sage-femmes des services de santé Aga Khan à Faizabad en Afghanistan en 2015. Crédit : Offert à titre gracieux par Nurjehan Mawani.

En 2013, Mme Mawani est devenue la première femme diplomate à travailler en Afghanistan en plus d'une décennie. Le fait d’être une femme dans un pays conservateur présentait son lot de défis, mais lui donnait un avantage inestimable, celui de pouvoir parler aux femmes afghanes.

« J’avais accès à tout un groupe que les diplomates masculins n’avaient pas », explique-t-elle. Elle a fait entendre leur voix, les a mentoré et aidé à accéder à des rôles de leader.

« Dans le cadre de nos programmes de perfectionnement, je demandais toujours quel serait leur impact sur les femmes, partage-t-elle. Elle a plaidé pour accroître la participation des femmes aux programmes d’éducation et de santé, tout en insistant sur la nécessité pour elles de développer leur autonomie financière. »

« Je savais à l'époque, tout comme je le sais encore aujourd'hui, que si elles avaient accès à des débouchés, elles réussiraient, ajoute-t-elle. »

Nurjehan Mawani remue la pâte de préparation du samanak dans le cadre des festivités de Nowruz au palais présidentiel à Kabul en Afghanistan en 2019. Crédit : Offert à titre gracieux par Nurjehan Mawani.

Shams Kassim-Lakha, président de L’Université Aga Khan depuis près de 30 ans et successeur de Mme Mawani à titre de représentant diplomatique du Réseau au Kirghizistan, se rappelle de sa faculté à établir des liens. « À moins de gagner la confiance des décideurs d’un pays ou des diplomates qui sont vos collègues, vous ne pouvez pas vous attendre à ce qu’ils vous fassent confiance ou qu’ils collaborent avec vous, ou qu'ils vous aident à atteindre vos objectifs », partage M. Kassim-Lakha. « Elle sait se faire des amis et créer un sentiment de confiance chez les personnes qu’elle rencontre. »

Lorsqu’elle songe à sa carrière, elle revient à une citation tirée d’un discours prononcé par Son Altesse l’Aga Khan en 2014 au cours de la cérémonie de remise du Prix Nord-Sud à Lisbonne : « La progression des êtres humains repose sur la coopération, même si des lignes de division difficiles nous séparent. »

Ce message est devenu l’inspiration de sa vie. Elle sait que c’est ce qui réduira les inégalités sur la planète.

« Impossible d’accomplir cela seule, dit-elle. L’important, c’est d’agir ensemble. »

 

Cet article a été publié à l'origine dans le numéro d’été 2020 de The Ismaili Canada.

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