Le jardin des délices | The Ismaili Canada

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Le jardin des délices

Comment la nature nous incite à réfléchir à notre lien avec l’ici-bas et l’au-delà.

Par
Ashnoor Nagji
Published September 30, 2020
Le Talar majestueux illumine le paysage au Jardin Aga Khan, en Alberta. Crédit : Paul Swanson/ Jardin botanique de l’Université de l’Alberta.

« Si vous prenez le temps d’observer, vous verrez se dessiner clairement le motif géométrique au sol », indique le guide bénévole. Au-dessus, le soleil passe du second plan au-devant de la scène, ses rayons percent les nuages et éclairent le paysage environnant. Tout à coup, les motifs répétés prennent vie : sur le sol où je me tiens, des étoiles bordées d’argent se mêlent à des formes hexagonales pour créer un motif géométrique aux lignes élégantes, qui accentuent la beauté enveloppante du Jardin Aga Khan d’inspiration monghole situé à Edmonton.

Étendant leurs racines dans le temps et l’espace, les jardins, dans l’univers islamique, ont pour dessein d’offrir un sens, de la diversité et une vision. Les jardins nous invitent à faire le lien avec nous-mêmes, les autres et Allah, tout en nous donnant une illustration saisissante du paradis. Plusieurs textes sacrés évoquent la signification et le symbolisme de la Nature. La Genèse 2:15 fait référence à l’interrelation bénéfique qui se tisse entre les êtres et les plantes par ces paroles « Le Seigneur Dieu prit l’homme, et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder. » La diversité de la nature est évoquée également dans le Coran 6:99 : « [Nous produisîmes] les jardins de raisins, l’olive et la grenade, semblables ou différents les uns des autres. Regardez leurs fruits au moment de leur production et de leur mûrissement. Voilà bien là des signes pour ceux qui ont la foi. » Ancré dans la spiritualité, il y a une force vive dans la nature qui, non seulement, s’offre à nos sens, mais nous donne un élan vers le sublime.

La nature passe au travers des dessins géométriques du Jardin Aga Khan, en Alberta. Crédit : Paul Swanson/ Jardin botanique de l’Université de l’Alberta.
La signification du jardin : une source de réflexion et de repos

À Edmonton, le ciel est couvert et bas, et prend des teintes de gris sombre. Le long bassin ovale à l’entrée du jardin est simple et immobile. Le calme de l’endroit m’attire et guide le rythme de mes déambulations en s’adressant directement à ma conscience ⎯ ce n’est pas un endroit où l’on passe en coup de vent... ralentir a un sens ici. Des cascades qui servent de point d’accueil aux larges allées, des façades qui invitent au repos, aux pelouses en pente où les gens peuvent se reposer et se réunir, la conception soignée élève l’esprit. Mon regard plonge dans l’eau qui reflète l’espace environnant. La clarté émerge sans effort.

Au fil des générations, les jardins du monde islamique ont été un lieu de repos bienvenu dans le climat chaud et humide qui règne au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Asie. L’utilisation de l’eau comme matière première (l’élément fondamental) est évoquée dans le verset 31:30 du Coran, voulant que Dieu préfère l’eau à toute autre chose créée et en fait la base de sa création, car il dit : « Nous [avons] fait de l’eau toute chose vivante. » Il n’est pas étonnant que nous soyons attirés par la vue et le son d’une fontaine, que celle-ci nous invite à nous asseoir à son bord, fascinés par les eaux jaillissantes qui retombent en cercles concentriques, et que nous laissions nos doigts tremper dans l’eau, pour rafraîchir et raviver nos sens.

Source de vitalité pour les êtres humains et notre planète, les jardins ont eu une grande importance au fil des siècles et des événements. Des mariages aux festivals culinaires à la diffusion des matchs éliminatoires des Raptors, le Parc Aga Khan de Toronto illustre de façon exemplaire ce que les jardins peuvent apporter de plus à nos vies. À plus de 10 000 kilomètres de là, Bagh-e Babur, un jardin du 16e siècle à Kaboul, en Afghanistan, réhabilité grâce au Trust Aga Khan pour la culture, offre de magnifiques espaces verts parmi les ruines. Le parc, à présent une destination populaire les week-ends, voit converger les personnes des environs et les expatriés et laisse place à des réunions de famille, des expositions d’art et des concerts dans ce havre propice aux connexions sociales au milieu de l’agitation.

Un jardin en fleurs après la guerre : Bagh-e Babur, Kaboul, Afghanistan. Crédit : Simon Norfolk/AKDN.
La diversité du jardin : une source d’abondance et de grâce

La beauté et l’importance des jardins vont au-delà des bourgeons en fleurs et des couleurs vives. Le foisonnement de la nature et les multiples usages qu’en font les gens font des jardins une source de délices. Pour créer des points d’intérêt et ravir les sens, les jardins aménagés en contrebas combinent souvent des plantes aux hauteurs, aux textures, aux teintes et aux fragrances variées. Même dans des conditions ardues, il est possible de recréer de telles merveilles. Il suffit de songer au chahâr-bâgh de la Délégation de l’Imamat ismaili à Ottawa. Des allées en pente séparent quatre jardins plus petits, le quadrilatère étant bordé par des lilas japonais. Au lieu d’eaux vives, qui pourraient geler pendant l’hiver, des arbres résistants sont plantés de façon à former un motif novateur. Lorsque les flocons recouvrent le sommet des arbres, les ondulations de la neige évoquent les vagues, offrant une source d’émerveillement malgré le froid mordant.

En fait, la diversité d’un jardin ne se résume pas à un assortiment d’espèces d’arbustes et de semis. Depuis plus de deux décennies, le Trust Aga Khan pour la culture, concentre ses efforts sur l’amélioration des conditions de vie dans dix cités, de Bamako à Delhi, en réhabilitant des parcs existants et en aménageant de nouveaux espaces verts. Ces efforts internationaux ont démontré que les jardins, lorsqu’ils sont effectués correctement, alimentent non seulement le développement social et culturel, mais stimulent également l’activité économique et les emplois locaux. Au Caire, le Trust a aménagé le Al-Azhar Park dans un terrain vague vieux de 500 ans situé dans le secteur historique de la ville et a mis au jour des ruines archéologiques dissimulées sous les rebuts. Le terrain de 30 hectares sert de poumon à la ville. Le projet a également permis de revitaliser les secteurs environnants en offrant des emplois en horticulture et en réfection à une population à faible revenu, ainsi que des programmes de microcrédit, de formation professionnelle et d’apprentissage.

Parc Al-Azhar : un poumon vert pour Le Caire. Crédit : Gary Otte/AKDN.

Ainsi, les jardins offrent un lieu qui nourrit les aspirations naissantes, où nous pouvons perfectionner nos habiletés, favoriser le pluralisme, approfondir nos liens sociaux et nous adonner à la réflexion. Dans un discours prononcé en Égypte en 2016, Son Altesse l’Aga Khan a affirmé  : « Ce serait merveilleux et libérateur si nous étions plus nombreux à envisager la diversité comme une richesse plutôt qu’un fardeau, une occasion plutôt qu’une menace. »

Alors que je réfléchis à l’unité au cœur de la diversité au milieu du Jardin Aga Khan à Edmonton, la pluie se met à tomber, et je sens les gouttes sur mon visage. Elle étanche la soif des plantes pourpres, des arbustes verts et des grands arbres. Lentement, les rayons du soleil s’estompent pour laisser place au gris. La flore qui m’entoure donne vie au verset 31:10 du Coran, « Nous avons fait descendre une eau, avec laquelle Nous avons fait pousser des plantes productives de toute espèce. »

La vision du jardin : un lieu d’inspiration à préserver

Le cycle de la naissance et de la renaissance se déploie constamment dans un jardin, les plantes passant pour toutes les phases de la vie et le cycle des saisons. Les espaces verts nous permettent de donner libre cours à la créativité et de trouver une orientation et un lien du cœur. Pensez à l’émerveillement qu’apporte un papillon qui se dépose au bord d’une fleur orange vif ou d’une coccinelle qui déambule sur une formidable feuille verte. Qu’il s’agisse du concepteur, du poète ou photographe professionnel qui cherche constamment à améliorer sa technique, d’un jeune de la génération Y ou d’une grand-mère qui sort brusquement son téléphone intelligent, tous cherchent à capturer la vision de leur imaginaire.

Le Prince Hussain attire des foules vers son exposition intitulée « Beauté fragile » illustrant la diversité des écosystèmes océaniques. Crédit : José Fernandes.

Toutefois, ceci est une « Beauté fragile », le titre de l’exposition de photographies du prince Hussain Aga Khan inaugurée au Kenya en 2019, qui illustre la beauté, la diversité et la fragilité des écosystèmes marins. Le changement climatique a des conséquences désastreuses pour la vie marine. Parmi les implications du réchauffement des eaux, on note la perturbation des signaux nécessaires à la reproduction de plusieurs espèces, un déséquilibre du ratio des sexes chez les tortues marines et des fluctuations des niveaux d’oxygène absorbés par les crabes, les homards, les mollusques, les calmars et les coraux, des phénomènes qui se répercutent dans l’écosystème. Grâce à des efforts de sensibilisation et à l’art, l’exposition pose une question essentielle : comment protégeons-nous nos richesses naturelles?

En tant que colocataires avec la planète, peut-être que la prochaine fois que nous nous retrouverons dans la nature, nous pourrions réfléchir à notre rôle actif dans l’utilisation responsable et la protection de la nature au moyen de pratiques écologiques et durables. Allons plus loin pour protéger la planète que nous appelons tous chez nous, en compostant, en employant des tasses réutilisables, en choisissant nos aliments de façon écoresponsable ou en plantant des arbres. Après tout, combien de jours de notre vie pouvons-nous passer uniquement au cœur d’une forteresse de béton?

Terrasse de granite et de calcaire en haut de Talar donnant des vues spectaculaires de la disposition quadrilatérale du Jardin Aga Khan, Alberta. Crédit : Paul Swanson/Jardin botanique de l’Université de l’Alberta.

À la fin de ma visite du Jardin Aga Khan à Edmonton, le sol de granit sous mes pas s’assombrit alors que les nuages commencent à couvrir le ciel. « Regardez à présent, le motif géométrique disparaît, explique le guide bénévole en attirant mon attention vers le sol. » Quelle surprise pour moi. Je ne peux m’empêcher de songer à une dimension ésotérique, que je ne vois pas nécessairement à l’œuvre, mais qui est là, présente, comme les étoiles bordées d’argent.

En nous inspirant à réfléchir à l’existence et à l’éternité, les jardins sont une source de signification, de diversité et de vision. Heureusement, ce don ne se limite pas au moment passé ici, mais se poursuit dans l’au-delà, comme l’affirme le verset 9:72 du Coran : « Aux croyants et aux croyantes, Allah a promis des Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux, pour qu’ils y demeurent éternellement, et des demeures excellentes, aux jardins d’Eden [du séjour permanent]. Et la satisfaction d’Allah est plus grande encore, et c’est là l’énorme succès. »

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Dre Ashnoor Nagi est un médecin de famille qui se consacre aux jeunes, aux populations vulnérables, aux accouchements et à l’enseignement. Née en Tanzanie, elle a fait de la consultation, s’est portée volontaire et a voyagé dans 116 pays, notamment en offrant ses services à Médecins sans frontières (MSF) dans les camps de réfugiés. Elle a également offert ses services comme Nazrana de Temps et Connaissances au Pakistan, à Dubai, en Tanzanie et en Afghanistan.

 

Cet article a été publié à l'origine dans le numéro d’été 2020 de The Ismaili Canada.

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